Le Louvre Abu Dhabi _

Un musée Universel _

Il aura mis plus de 10 ans à sortir du sable, coûté des centaines et des centaines de millions d’euros, soulevé de nombreuses questions mais en 2017, le projet du Louvre Abu Dhabi a enfin ouvert ses portes au public.

Imaginé par l’architecte (super) star Jean Nouvel, le bâtiment réussit le pari de déjà s’élever au rang d’institution quelques mois seulement après son ouverture.

Jean Nouvel, pour ceux qui ne le connaissent pas (on a encore du mal à croire que son nom passe inaperçu tant il est sur tous les fronts depuis plus de 40 ans) et un architecte diplômé en 1972 de l’école des Beaux-Arts de Paris. Son travail est caractérisé par des prises de position engagées et par une approche contextuelle des lieux qui se défie bien souvent de la notion de style. En 2008 il reçoit le Prix Pritzker (l’équivalent du Nobel de l’architecture, le must du must). Un graal qui, selon bon nombre de ses proches, lui fait un peu perdre le sens des réalités. Quoiqu’il en soit, on doit à cet architecte connu pour ses retards de chantiers légendaires, des projets tels que l’Institut du Monde Arabe, la Fondation Cartier ou le musée du Quai Branly à Paris, la Tour Agbar à Barcelone ou encore la Philharmonie, toujours à Paris.

Vous l’aurez compris, je ne voue pas à cet homme un culte sans nom mais il faut tout de même lui reconnaître certains bons projets. Le projet du Louvre Abu Dhabi, notamment est selon moi à saluer. Alors oui, évidemment, il est toujours plus confortable de ne pas être limité par un coût et de pouvoir laisser libre cours à son architecture lorsqu’il n’y a pas de restriction budgétaire stricte mais voyons ensemble pourquoi, d’un point de vue purement architectural, le bâtiment répond à une logique phénoménologique, une approche contextuelle et un souci de servir au mieux la fonction principale du projet : la mondialisation de l’art.

© Ateliers Jean Nouvel

Mais avant ça, étudions les enjeux d’un tel projet. Il y a dix ans, la France signe avec les Émirats Arabes Unis un accord intergouvernemental pour développer le premier musée « universel » du monde arabe. Une institution indépendante portant le nom de Louvre Abu Dhabi (après le Louvre Paris et le Louvre Lens). La France prête alors plus de 300 œuvres au nouveau musée, l’objectif final étant que les Émirats créent leur propre collection. Avec ce nouveau projet, il y a une volonté certaine d’exporter le savoir-faire muséal français. Pour se faire, 16 institutions françaises se cachent derrière le nom du Louvre, comme le quai Branly, le Centre Pompidou, le musée d’Orsay ou encore la BNF. Ils prêteront pour une durée de 10 ans des œuvres et toucheront en échanges 190 millions d’euros de la part d’Abu Dhabi. L’accord financier prévoit également le prêt du nom du Louvre pour 30 ans aux EAU en échange de 400 millions d’euros. L’entité parisienne devra consacrer cette somme exclusivement à des dépenses d’investissements.

Au-delà de la dimension purement financière qui n’est bien sûr pas négligeable, ce système permet de créer un pont entre deux villes séparées de plus de 7000km partageant un intérêt (et maintenant un nom) commun, la diffusion de l’art dans le monde.

Je n’aborderai pas dans cet article la manière dont nous est racontée l’histoire de l’art dans ce bâtiment (je vous en avais parlé rapidement dans l’article« Abu Dhabi, une ville qui chatouille le ciel »), mais uniquement les questions architecturales et la volonté de Jean Nouvel à travers l’expression formelle du lieu.

1 – Un dôme  entre ombre et de lumière

En arrivant aux abords du musée, impossible de ne pas s’y trouver confronté : l’édifice est couvert par une immense coupole argentée qui paraît flotter au-dessus des bâtiments. Cette pièce maîtresse de plus de 7500 tonnes (le même poids que la Tour Eiffel à Paris) mesure environ 180m de diamètre. Jean Nouvel s’est inspiré de l’architecture arabe pour imaginer la structure complexe qui se compose de 7850 étoiles superposées sur huit couches. Le motif étoilé se répète sous différentes tailles et différents angles mais c’est toujours le même. Le dôme crée dans le projet un espace couvert où viennent se loger les bâtiments du musée, permettant une déambulation extérieure protégée du soleil souvent plombant d’Abu Dhabi. La lumière est alors filtrée par les 8 couches, donnant un effet saisissant : une « pluie de lumière ». Dans l’imaginaire, cela fait écho à la lumière traversant les palmiers : interceptée par les feuilles, la lumière éclatante du soleil est diffusée puis éparpillée sur le sol. Une autre inspiration est également frappante : celle des moucharabieh (treillis en saillie protégeant une fenêtre et permettant, dans l’architecture des pays arabes, de voir sans être vu), un élément architectural et pratique hérité du passé. C’est un art décoratif oriental qui joue aussi le rôle de climatisation naturelle.

Construit par la société autrichienne Waagner Biro, spécialiste de la construction de structure en acier, le dôme est le résultat d’un dessin géométrique étudié avec soin. Il est issu de la collaboration étroite entre les équipes de conception architecturale des Ateliers Jean Nouvel et les ingénieurs en structure de Buro Happold Engineering. Comme vous pouvez l’imaginer, beaucoup de maquettes, de réalisations 3D et de savants calculs ont été réalisés pour ne rien laisser au hasard et créer une « pluie de lumière » parfaite : le dôme étant l’élément le plus déterminant du projet.

Les 4 couches extérieures de la coupole sont revêtues d’acier inoxydable alors que les 4 couches intérieures sont quant à elles recouvertes d’aluminium. Chaque couche est séparée par un cadre en acier de 5m de haut. Le châssis est constitué de 10 000 composants structurels préassemblés en 85 éléments pesant chacun plus de 50 tonnes. Le point culminant du dôme se trouve à 40m au-dessus du niveau de la mer et à 36m au-dessus du niveau du rez-de-chaussée.

Pour donner l’impression de légèreté et laisser croire que le dôme vole au-dessus du projet, l’immense structure repose sur 4 piliers séparés de 110m les uns des autres et sont dissimulés à l’intérieur du musée pour créer l’illusion parfaite.

Petite astuce pour croiser un peu moins de monde sous le dôme et pouvoir mitrailler tranquillement le lieu de photos sans avoir à utiliser Touch Retouch (dont je vous parle souvent sur mon deuxième compte @Behindtheblue_), préférez la déambulation sous la coupole avant de pénétrer dans le musée. En arrivant à l’ouverture, vous vous assurez ainsi un parcours inversé de la plupart des gens qui commencent bien souvent par les espaces d’exposition.

© Ateliers Jean Nouvel
© Ateliers Jean Nouvel

2 – Une ville musée avec vue sur Mer 

Jean Nouvel s’est laissé guider par la dimension exceptionnelle du site de Saadiyat : une île lagunaire, vierge, entre le sable et la mer, entre ombre et lumière, pour concevoir le projet.
Conçu comme une petite citée, ponctué de venelles, d’espaces semi-ouverts, de couloir intérieurs et extérieurs, le parcours rappelle indéniablement le cheminement dans une médina arabe. Près de 55 bâtiments (23 d’entre eux sont dédiés aux galeries du musée) s’inspirent des demeures basses de la région. Tout comme dans une médina, chaque bâtiment a  une hauteur différente, une ambiance particulière. Les façades donnent à la fois sur la mer et sur le paysage urbain d’Abu Dhabi encrant définitivement le projet dans un contexte existant.

Le pari gagné des Ateliers Jean Nouvel est d’avoir réussi à créer un musée qui se vit autant à l’intérieur qu’à l’extérieur et où aucun espace ne prédomine sur l’autre. On a autant de plaisir à déambuler sous la grande place couverte par le dôme que dans les différents espaces d’exposition. D’ailleurs les œuvres elles-mêmes ne se cantonnent pas à une place précise. On peut tout à fait retrouver, hors des « murs » a proprement parlé des espaces d’exposition, une sculpture de Rodin, une œuvre de Jenny Holzer ou de Guisseppe Penone.

Le projet est une presqu’île qui s’avance sur la mer et qui permet d’autres accès que celui via la terre : il est possible d’arriver via les voies maritimes. Tout comme dans une ville, un village, le bâtiment ne se limite pas à un seul usage : l’espace couvert par le dôme est aussi un espace public ou l’on déambule, où l’on peut se baigner, où l’on se rencontre, où l’on se rafraichit de la chaleur ambiante.

La relation à l’espace est changeante et dépend des éléments : du soleil qui diffuse sa lumière différemment au cours de la journée, de la mer qui monte et descend, découvrant ainsi des bassins qui ne sont pas toujours visibles et l’architecture, qui dialogue et crée le lien. Nos sens sont en éveil et la dimension phénoménologique (l’étude de phénomènes dont la structure se base sur l’analyse directe de l’expérience vécue par un sujet) du projet est palpable.

3- Une approche environnementale

Au-delà de la dimension phénoménologique, de l’ambiance et de la mise à l’épreuve de nos émotions, le dôme joue un rôle environnemental dans la conception du bâtiment.

Imaginé comme une canopée (l’étage supérieur de la forêt, directement influencé par le rayonnement solaire), le dôme protège de la chaleur du soleil les places publiques et les bâtiments situés sous celui-ci. L’ombre apportée permet de réduire la consommation énergétique de chacun des bâtiments couverts puisque n’étant pas exposé à l’ensoleillement direct, l’apport en air frais est moindre. Le dôme permet en effet un éclairage naturel sans apport solaire ou flux d’air excessifs. Pour penser ce système, Jean Nouvel s’est inspiré de techniques régionales traditionnelles en les combinant avec des techniques d’économie d’eau et d’énergie passive permettant au bâtiment de créer son propre microclimat.

L’utilisation de masse thermique exposée, tel que le sol en pierre et les revêtements des bâtiments permettent de bénéficier du refroidissement nocturne : ce sont des matériaux avec une grande inertie, diffusant l’énergie emmagasinée pendant la nuit au cours de la journée.

« Une cité presqu’île qui avance dans l’eau et qui utilise cette eau à l’ombre pour créer un phénomène de microclimat grâce au vent qui entre sous la coupole. » Jean Nouvel

4- Une architecture Hors-Norme : une approche contextuelle, phénoménologique

Vous l’aurez compris, le Louvre Abu Dhabi est un bâtiment spectaculaire. Mais il n’en fallait pas moins pour représenter l’entité française à l’autre bout du monde. Le choix de l’archi star Jean Nouvel paraissait donc tout à propos pour imaginer ce bâtiment qui se devait d’être le miroir du rayonnement du Louvre à Paris.

Aucune galerie n’est similaire à l’autre, des hauteurs qui varient sans cesse, une clarté omniprésente dans chacun des espaces : l’architecte a fait le pari de donner à tous les espaces une ambiance spécifique, particulière, imprégnante ne prenant jamais le dessus sur les œuvres qu’ils renferment. Défis relevé haut la main, on admire autant le musée que le contenu. Le lien se fait naturellement comme si Jean Nouvel avait travaillé main dans la main avec les commissaires d’exposition.

Le musée de 8600m2 prend toute sa dimension grâce à la lumière naturelle qui baigne les lieux : la lumière devient elle-même l’architecture. Pour cet architecte qui aime adapter les thèmes de l’architecture en les détournant, en les réinterprétant par de nouvelles approches, le sujet ne pouvait être traité différemment. Il crée un espace-temps s’appuyant sur des sensations qui ont déjà été de nombreuses fois explorées à travers les grands projets d’architecture arabe : le jeu entre géométrie, maitrise de la lumière, cheminement, découverte et sérendipité.

Basant son architecture sur le contexte et l’histoire d’un lieu, Jean Nouvel nous dit que « Architecturer, c’est modifier à une époque donnée l’état d’un lieu par la volonté, le désir et les savoirs de quelques hommes. Nous n’architecturons jamais seul. Nous architecturons toujours quelque part, certes pour quelqu’un ou quelques-uns, mais toujours pour tous. »

A travers ses écrits on comprend bien que Jean Nouvel se caractérise comme un architecte de « situation ». Il crée, en adéquation avec le contexte qui environne son œuvre, un dialogue entre son projet et le site. Que ça soit à partir d’un élément de mobilier ou d’un bâtiment déjà présent dans l’espace public, l’architecte doit à ses yeux intervenir pour répondre au mieux à une situation donnée, ne pas l’écraser.

Pour le Louvre Abu Dhabi, c’est d’abord le site qui a inspiré Jean Nouvel, mais lorsqu’on le questionne sur la démolition ou non d’une usine se trouvant sur une autre rive, visible depuis les percées du musée et les différentes terrasses, il répond qu’il faut évidemment la conserver car c’est de ce contraste que naissent les plus belles émotions. Je vous redonnerai une citation d’Héraclite que je vous ai souvent donnée : « ce qui s’oppose s’assemble et de ce qui diffère naît la plus belle harmonie, et la discorde qui engendre toutes choses »

5- Le souci du détail

Jean Nouvel, au-delà d’être architecte joue aussi dans la cour des designers en imaginant des pièces de mobilier. Mais à l’inverse de ses architectures complexes et exceptionnelles, le mobilier qu’il imagine est une recherche de minimalisme, de structure pure, simple.

A travers le musée, vous pourrez ainsi retrouver des bancs dessinés par l’architecte. Des bancs noirs (tout comme le style de Jean Nouvel, célèbre aussi pour son éternel uniforme : un look total black), aux formes courbes. Une accumulation de tranches de cuir, verticales, qui montre que l’architecte a investi son projet jusqu’au plus simple usage : la pause et la contemplation.

6- Des fonctions visibles de tous

Alors qu’habituellement, seules les fonctions les plus « nobles » sont montrées dans un musée, celles d’exposition, ici les fonctions administratives sont visibles aux yeux de tous. C’est même devant le bâtiment de bureaux que l’on passe en premier en pénétrant le musée. A l’intérieur du bâtiment recouvert d’un bardage en caillebotis, les espaces sont clairs, spacieux et baignés de lumière. Mais cette peau qui permet de lire le bâtiment comme un monolithe tout en lui permettant d’être entièrement ouvert pourrait vite donner une impression de « cage à poules ». Pas sûr que les employés du musée soient très heureux du traitement choisi pour cet espace dont l’usage est justement d’abriter ceux dont le rôle est de promouvoir et diffuser l’ouverture du nouveau musée sur le monde.

Un bon point donc, de ne pas avoir enterrées, dissimulées, cachées les fonctions administratives, mais une réserve sur la volonté peut être un peu trop esthétique de l’architecte quant au traitement des façades.

J’espère que cette balade au Louvre Abu Dhabi vous aura plu. Pour d’autres infos sur la ville rendez-vous sur cet article : ICI.

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2 réflexions sur « Le Louvre Abu Dhabi _ »

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